Je voyais ce jeune homme redresser la tête vers moi. Il me donnait l’impression d’un chien battu qui se laisserait mourir dans un coin de ruelle, à l’abri des regards. Je dois avoir la poisse même dans les rencontres. Comment peut-on terminer ainsi ? Et refuser en plus ce qu’n peut avoir l’amabilité de nous donner ? Car mes oreilles ne me trompaient pas, cet homme venait bien de refuser mon morceau de pain ! Certes, je l’avais mérité, enfin, je pense, mais cela me donnait justement le droit de le donner à qui je voulais !

D’un geste lent, je sortais mon nouveau carnet. Et oui, mon premier achat aura été un carnet, histoire de pouvoir communiquer comme je le voulais. Il était déjà à moitié plein, tant l’utilité de la parole me semblait indispensable. Et ainsi, je commençai à écrire. Cet homme avait engagé la conversation, je ne peux pas partir sans répondre. Ma mère m’avait fait rentrer cette règle de force dans ma pauvre petite tête. Faut dire qu’elle était très à cheval avec les règles de politesse. J’écrivis donc :

« L’ayant gagné par mon travail, j’ai justement le droit d’en faire ce que je veux, gardez le donc, vous en avez plus besoin que moi. Et puis je ne suis pas un gros mangeur, je ne l’aurai pas fini aujourd’hui. Et puis on m’en a fait cadeau, sinon, j’aurais plutôt pris des fruits ou des légumes, je trouve ça meilleur.»

Vous voyez maintenant pourquoi mon carnet est déjà à moitié rempli ? Dès que je le sors, j’en profite pour parler, autant que possible. C’est peut être parce que je me sens seul en ce moment ? Bref, je lui tendis mon carnet dans un sourire, afin qu’il puisse le lire. En espérant qu’il sache lire. Cela arrive de trouver des illettrés, et quand je tombe sur eux, la communication devient impossible. Mais je m’égare là, c’est une autre histoire.

Dire qu’en mer, on ne connait pas la faim… Il suffit de cueillir des algues pour manger, c’est aussi simple que ça. Fin, simple pour les végétariens, on a encore quelques légers problèmes avec les carnivores tels que les requins… En même temps, chaque société a ses propres problèmes. Fin, un problème de cannibalisme, ça se trouve pas partout, faut dire…

Hum, bref, revenons en à notre pauvre homme qui semble en piteux état. Je le voyais mal dormir dehors par ce froid. Mais je me voyais mal aussi le ramener dans ma chambre à l’auberge. Certes, mon lit était libre, vu que je dormais dans la baignoire de la salle de bain, mais ce n’était pas une raison. Après tout, je ne le connaissais pas, et j’avais eu ma dose d’inconnu au manoir.

Avant même de lire mon carnet que je lui tendais, cet homme me demanda si j’étais un triton. Une grimace s’afficha sur mon visage. S’il y avait bien une chose que je voulais éviter, c’était bien que l’on sache ma véritable nature. Je regardai vivement chaque coté de la rue, espérant que personne ne l’ai entendu. Pas un chat, heureusement. Donc ce jeune homme avait déjà rencontré un de mes semblables ? Voilà qui le rendait encore plus intéressant. Ce n’était donc pas un simple mendiant. Mais le voilà qui veut faire quelque chose pour me remercier pour le pain. Finalement, c’était rare de rencontrer des personnes comme lui. En général, on aurait accepté la nourriture avec un simple merci, et non pas tenté de la refuser ou de se racheter. Il est vraiment bizarre ce type.

D’ailleurs, celui-ci se releva. Encore quelqu’un qui est plus grand que moi. Je ne râle même plus à cause de ça, à croire que tout le monde est plus grand que moi. Il se présenta du nom de Pierrot. Je griffonnai rapidement mon nom sur le carnet avant de le lui montrer. Je ne savais pas trop pourquoi, mais ce Pierrot me semblait différent. Peut être son bras qui semblait en piteux état… Je ne pouvais pas le laisser là dans cet état quand même ? Ariel, tu dois avoir un trop grand cœur, ça te perdra. Réfléchissant vite, j’inscris rapidement sur mon cahier :

« Vous avez besoin d’aide pour votre bras ? »

Je ne lui demandais pas ce qui lui était arrivé, ne voulant pas être indiscret. Peut être ne voudrait-il pas en parler. Mais j’espérais en savoir plus. J’ai toujours été curieux après tout. C’est d’ailleurs à cause de cette curiosité que je ici, au passage… D’un coté, j’avais envie de l’inviter à passer la nuit au chaud à l’auberge, de l’autre je me doutais qu’il allait refuser, déjà qu’il avait du mal à accepter un morceau de pain… Et dans un sens, je ne le connais pas vraiment. Je dois être trop gentil, il est là le problème !

Mais, comme un idiot, je demandais quand même, réfléchissant à chaque mot que j’écrivais sur le carnet :

« Comme je suis justement un triton, je n’utilise pas le lit de la chambre que je loue, peut être pourriez vous passer la nuit au chaud, rien que pour cette nuit. Vous serez mort demain matin si vous restez ici… »

C’était à lui de choisir maintenant. Qu’est ce que je pourrais bien faire d’autre sinon ? Je ne supporte pas assez le froid pour rester là dehors

Un accident de travail ? Et ce n’est rien ? Je crois que je ne comprendrais définitivement pas cet homme. En fait, je crois qu’il ne veut tout simplement pas de mon aide, et que je le dérangeais dans sa sieste nocturne. Il avait le don d’être positif et négatif à la fois. Après tout, qui dirait qu’une nuit de plus dehors par ce froid ne le dérangeait pas ? J’en lâchai un soupir muet, agacé. Les personnes qui ne voulaient absolument déranger personne m’énervaient parfois. Parfois, cela peut être une qualité, mais quand on est aussi borné, cela devient maladif. Je n’allais pas le trainer chez moi, après tout, on me prendrait pour un kidnappeur, quoique je me demande si j’arriverais vraiment à le trainer avec mes petits bras… Je pense que ce n’est pas la peine d’insister alors… Avec une moue certainement prononcée, j’écrivais à nouveau sur mon carnet.

« Vous devriez apprendre à accepter l’aide des autres de temps en temps. Après, c’est votre choix, je ne vous dérangerais donc plus. Je rentre chez moi, mais si jamais l’envie vous prenez de finalement dormir au chaud et ainsi éviter une mort certaine au coin de cette rue, vous pouvez toujours me suivre. Sur ce, je vous dis bonne chance. Et s’il vous plait, faites examiner votre bras tout de même.»

Cela me faisait encore bizarre de parler avec un carnet, pour le simple fait que je ne peux transmettre aucune expression à mes paroles. Entre moi qui n’ai aucune expression, et ce Pierrot qui se veut rassurant et chaleureux, alors qu’il dort dans le froid depuis un moment, à ce que j’ai compris, je me demande qui est le pire. En tout cas, je n’allais pas passer la nuit ici moi. Les tritons et les sirènes, ça ne supporte que les températures au dessus de zéro !

Après lui avoir montré mon cahier, je me retournai pour reprendre ma route, que j’avais quittée un peu plus tôt. Maintenant, est-ce que Pierrot me suivra ? Je ne sais pas pourquoi, mais j’en doute un peu, même si j’espérais le contraire.